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Geneviève Des Rosiers

BLOGUE : LES MÉSENDRES D'UNE OSTÉO

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  • Geneviève Des Rosiers D.O.

Date de péremption, à l’abordage moussaillons

Dernière mise à jour : 31 juil. 2022

Un bel après-midi d’automne, une belle jeune femme très âgée franchit le seuil de ma porte. On distinguait encore les traces d’une chevelure blonde qui avait été disséminée, un brin à la fois, par le vent, ne laissant qu’un soupçon d’espoir pour ses racines capillaires sur cette terre en défriche cellulaire. La chimiothérapie avait ravagé ce corps, emportant avec lui l’espoir.


Avec les mots de la sagesse et la voix d’une gamine, la dame me parla: - Les médecins m’ont donné une date de péremption, il ne me reste donc que quelques semaines à vivre, car ensuite je dois me résigner à partir.

Ces mots, prononcés des années auparavant, résonnent encore en moi; ils se sont imprégnés dans mon sang comme le frisson qui nous transperce lors des premiers jours d’humidité de novembre. La tristesse de ces paroles remonte et résonne encore.


Ce choc venait du fait que c’était la première fois que je rencontrais un humain presque périmé, portant une étiquette prédisant sa fin, un ticket acheté d’avance pour le grand voyage, imposé par des « fins du mondistes » (Fred Pellerin) lui prédisant la fin de son monde.


Puis, avec cette même douceur, elle poursuivit: -J’aimerais que vous m’accompagniez pour trouver une paix avant de quitter ce corps.


Le coeur dans la gorge, les larmes sur les joues, je déposai délicatement mes mains sur ce crâne désertique pour palper la mort de ce corps inerte, abandonné par sa vitalité, traînant derrière lui un semblant de pulsation cardiaque.


Le souvenir des Anciens remonta le courant de mes neurones jusqu’à ma conscience: -avant de trépasser le corps a besoin de concentrer son énergie, car le passage est épuisant. Guidée par la voix de la sagesse, je secouai son intérieur à grands coups d’intention alignant à bouts de doigts le coeur à la tête et, en état de prière, je demandai aux troupes cellulaires un peu de collaboration, motivant ainsi chacune des cellules échouées: -Notre travail en ce corps n’est pas encore terminé. Allez! moussaillons, on se dégourdit le sang, activez vos mitochondries, réveillez la lymphe! La guerre commence, à l’attaque!

Le vent tourna.


On perçut au loin les bateaux des pirates, canons chargés de tumeurs prêtes à être propulsées dans tous les sens. Les troupes en plein combat, je retirai mes mains.


Nous venions de partager un moment d’une force inexplicable.


Des semaines, des mois et des années passèrent durant lesquels la jeune femme se présenta à chacune de nos rencontres pour échanger une partie de bataille navale avec moi. Forgées par le temps, nous eûmes développé un plaisir à partager ce jeu. Un jour, plusieurs années après la date prédite de son échéance, elle s’absenta à notre rendez-vous. Je l’attendis sans lendemain. Ce fut un jour d’automne comme les autres.


En écrivant ces lignes, une montée éthique afflue jusqu’à me chatouiller le bout des doigts. Peut-on vraiment laisser des statisticiens prédire notre mort en nous imposant une datation? Ces

« fins du mondistes » (F. Pellerin) ne déclenchent-ils pas en nous une accélération de la peur jusqu’à déclencher le décompte final? Prédire notre mort peut-il l’engendrer? Est-ce vraiment le geste juste que de pousser par dessus bord le capitaine du navire à grands coups de statistiques morbides?


Le départ de cette femme, une force indéniable de la nature, venait de m’enseigner que dans ce mouvement vers la mort une notion de consentement intérieur semblait intervenir. Il y avait maintenant en moi la conviction profonde que notre force de vie répondait à l’influence de notre volonté. Ma première réflexion fût à l’époque que cette volonté intérieure dépendait inévitablement d’un choix, de notre choix. Mais les automnes qui suivirent marquèrent la peau de mes mains pendant que celles-ci témoignaient de multiples batailles intérieures, pleuraient les défaites et se réjouissaient des victoires, témoignant ainsi du fait que notre consentement intérieur ne semblait pas toujours suffire afin de démentir les prophètes médicaux.


La force du consentement

Ge DR.


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