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Geneviève Des Rosiers

BLOGUE : LES MÉSENDRES D'UNE OSTÉO

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  • Geneviève Des Rosiers D.O.

À mi-nocturne

Dernière mise à jour : 20 oct. 2023

Plongée dans une scène d’Orange Mécanique, mes paupières écartelées par un support métallique dont j’arrive à percevoir la dureté et le design dignes des meilleurs thrillers, les globes oculaires à vif, une hypervigilance inquiétante s’éveille en moi. Je me sens à ce moment précis de mon existence comme l’un de mes super héros d’enfance : le moindre craquement en périphérie résonne dans ma tête tel un tremblement de terre, la lumière devient fastidieuse, mes glandes sudoripares se prennent pour des boyaux d’arrosage et toutes les odeurs qui m’entourent m’envahissent. J’ai peur.


Un sourire trop blanc sur fond de peau blême, vêtu d’une longue veste claire, s’impose à moi avec une avalanche de consignes qui, dans mon état de semi-panique, ne servent clairement à rien. Cette envolée verbomotrice passe comme un courant d’air glacial, d’une oreille à l’autre, et se voit automatiquement classée par mon système nerveux du côté sombre de la force ;

– Il ne faut pas bouger, madame.

Je veux m’enfuir.

– Tout est sous contrôle.

La panique monte doucement.

– Ne vous en faites pas, le robot va simplement sculpter le fond de vos yeux.

Haaaaaaaaa !


Puis l’injection aux coins des yeux, la seringue qui semble avoir été conçue pour une intervention vétérinaire, le froid des lieux, l’indifférence des gens autour, rien ici ne me sécurise. Le robot laser hypermoderne s’approche de mon visage, mes yeux maintenus ouverts de force témoignent passivement de la scène et la lumière fut ! L’odeur de ma chair brûlée restera longtemps gravée entre mon crâne et mes narines entremêlée aux phéromones de la peur.


Le lâcher-prise s’est imposé à moi lorsque dans un très grand instinct de survie je fis abstraction du cadre pour me plonger à l’intérieur, dans un lieu de réconfort ultime : mon âme.


On me libéra enfin, les yeux pansés de doux cotons et protégés d’une paire de lunettes, pour me raccompagner vers l’accueil. Les réceptionnistes sont si heureuses de m’annoncer que mes yeux sont réparés, que je pourrai conduire dans la nuit, que l’observation de la texture du feuillage est maintenant à ma portée et que le projet de faire des longueurs de piscine, sans me buter à chaque 25 mètres contre un mur, fait maintenant partie du possible. L’espoir prend le dessus sur la frayeur, je paye mes bourreaux et me fais raccompagner hors du lieu dans un noir absolu.





Chez moi, j’ai les organes oculaires qui me démangent et amplement le temps pour visiter ma nouvelle réalité d’aveugle temporaire. On m’a promis qu’après cette longue nuit de 48h, je pourrai ouvrir mes yeux pour redécouvrir la beauté des couleurs environnantes. Le tic-tac prit enfin fin et je retirai les cotons collés à ma chair pour enfin réouvrir mes paupières. À demi aveuglée par la luminosité du jour je ne suis pas certaine de ce que je perçois et c’est à mi-nocturne que j’avance dans la pièce en prenant progressivement conscience que mon œil gauche me semble éteint. Que se passe-t-il ?


Le téléphone sonne, une gentille réceptionniste finit par me répondre :

– Bienvenue à la clinique de la « torture du regard ». Veuillez patienter un moment svp…

C’est à ce moment précis qu’une boucle d’attente interminable débute, juste assez longtemps pour laisser l’angoisse monter au centre de chacun de mes os. Elle revient au bout du fil :

– Que pouvons-nous faire pour vous ?

Je lui explique la situation de cet œil de la Belle au bois dormant qui est plongé dans un sommeil profond depuis leur intervention ; deux questions plus tard, elle me remet en attente… Pour revenir vers moi avec une solution qui lui semble excellente, mais qui glisse douloureusement dans ma gorge. Elle m’annonçe avec une voix chantonnante :

– Il vous faut simplement vous diriger vers les urgences, votre situation ne nous concerne plus! Quoi, ne vous concerne plus ? Pour vrai, deux heures d’attentes, deux petites questions chargées d’indifférence et la perte de ma vision ne vous concernent pas ? Je raccroche, je pleure, j’ai peur.


Après une nuit aux urgences, courbaturée, épuisée, inquiète, congelée, affamée et l’œil qui cloche, une gentille infirmière m’appelle. Elle me pose une question de plus que sa prédécesseure pour me retourner m’assoir sur mon squelettique insoutenable… Mon œil droit flanche à son tour et va rejoindre son frère au pays des merveilles, je m’endors.


Au matin, un médecin m’accueille avec un peu plus de questions, je perçois son découragement par son regard binoculaire fonctionnel qui semble épuisé ; je me dis qu’il est chanceux, lui, de posséder deux yeux tristes fonctionnels. Puis il affirme dans un détachement et un manque de compassion saisissants :

– Vous devez vous rendre à la clinique de « torture des regards », car votre condition n’est pas de mon ressort.

Je panique… !


De retour chez moi, je fais le constat qu’il s’est déroulé 3 jours depuis cette chirurgie oculaire et que personne n’allait m’aider. En regardant vers l’horizon avec la moitié du monde manquant, je pense ?


Puis le téléphone sonna de nouveau, ma sœur au bout du fil voulait prendre de mes nouvelles. C’est ma grande sœur qui porte la compassion familiale chez nous, elle reçut cet extra de cœur à la naissance lui permettant de toujours se soucier de nous et en ce jour de désespoir, cet extra d’humanité sur deux pattes m’apporta un soupçon d’espoir :

– Appelle mon ostéo, il est cool et vraiment bon, peut-être qu’il pourra t’aider.

Un ostéo ? Pourquoi pas !


Il accepte de me recevoir en urgence le lendemain matin, il est à Montréal, je suis à Québec, je fais donc la route mi-jour, mi-ombre, le cœur en cavale.


Un homme tout en longueur avec un grand sourire m’accueillit et juste le temps de m’assoir, il commença son interrogatoire étoffé. Ce bombardement de questions était rassurant, enfin ma situation semblait intéresser quelqu’un. À la fin de chacune de mes réponses, il inscrivait une note dans un dossier qui m’était attitré. Puis il me demanda de m’allonger sur une table à ses côtés, il déposa ses mains délicatement sur mon crâne et s’exclama :

– Vous avez eu très peur, mmmmm. Vos membranes crâniennes sont en tension, mmmmm.


Puis en dégageant respectueusement les structures de ma tête, il m’expliqua l’anatomie de l’œil et l’intime relation entre les membranes de mon crâne et mon nerf optique… Il amena à ma conscience que la peur pouvait avoir participé… que le sang vers mon œil commençait à avoir de la difficulté à bien se rendre où il fallait et que… Bercée par ses paroles rassurantes voilà que mon œil reprenait goût à la vie en laissant entrer la lumière de nouveau en lui. Je voyais !


À la fin de cet instant improbable, je quittai son bureau avec les deux yeux grands ouverts devant un paysage complet avec la secrète conviction qu’un jour je serai moi aussi « relâcheuse » de membranes.


La vie reprit son cours et la routine effrita en toute discrétion mes grandes aspirations du moment.


À l’aube de mes 23 ans, une annonce attira mon œil gauche: « Porte ouverte de l’École d’ostéopathie, ce vendredi 17 h, téléphoner pour réserver votre place ». Dans un sursaut dépourvu de réflexion préalable, j’agrippai le téléphone dans l’espoir d’une place, comme un enfant qui espère la permission de ses parents pour aller au cirque, j’étais suspendue à chacune de ces sonneries interminables.


L’École d’ostéopathie était située au cœur d’une ancienne église recyclée en salle de cours avec dortoirs. En franchissant le seuil de cet établissement, de ce Poudlard des temps modernes, je me sentis instantanément chez moi animée d’une impression de revenir enfin à la maison après un long, très long, voyage.


Je me choisis une chaise discrètement au fond de la salle et c’est avec l’âme en paix, les deux yeux écartelés déposés sur un cœur heureux que j’écoutai le discours de retrouvailles.


Ge DR.

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