J’ai passé plus de 20 années à peu me préoccuper de mon corps. Plutôt pratique et assez mobile, ce petit bolide et moi avions une relation de colocation plutôt fonctionnelle. Je l’ignorais et, en échange, il était presque toujours disponible pour me transporter où mon esprit voulait bien le trimbaler. Avec les années, je m’étais accommodée de son look vintage avec son cuir parfois gaufré et légèrement flétri par la vie. Mais, récemment, au petit matin, j’ai ressenti pour la première fois l’âge réel de ma ferraille: tu sais quand tu gigotes sous les draps et que des morceaux se mettent à craquer pour une première fois. C’est donc avec le citron en douleur que je m’extirpai de mon lit, le capot construit comme une route québécoise se lézardant à chacun de mes pas. C’est alors avec tous les joints en feu et un mal de tête en sourdine que je commençai ce jour 1 de ma vieillesse. Dans un élan de découragement, je me remémorai ma mère qui, à ma naissance, avait pris soin de conserver mon petit bracelet d’hôpital, c’est tellement cute ce petit bout de plastique gentiment rangé dans une boite rose bonbon poussiéreuse qui existe encore. Cette mère avait aussi précieusement gardé les premiers documents qui m’avaient été officiellement attitrés, soit mon certificat de naissance, mon carnet de santé et plein de feuilles rose hôpital avec mes premiers résultats provenant d’un établissement respecté telles que ma fiche de performance me comparant à la moyenne du groupe, bien sûr, la fréquence des « cacas », la justesse de mon cœur et ma prédisposition au sommeil. Pour une maman fière de sa progéniture, s’assurer que j’étais à la hauteur de la « moyenne » était très sécurisant. Puis, comme une bonne petite fille, j’ai suivi le « pattern social » suggéré: bons bulletins, beaux dessins, tout va bien.
Mon mal de dos m’interpella alors de façon brusque: j’ai de bons résultats scolaires et je dessine encore assez bien, tout devrait bien allez, non? Que se passe-t-il alors? J’appelle donc mes parents pour leur demander si, par chance, ils avaient conservé, dans ma petite boîte rose, mon « guide d’utilisation ». À ma grande surprise, ma mère ne l’a pas ce « carnet d’instructions » pour le corps quelle m’a fabriqué. Quoi! pas de guide? L’hôpital, mon père, personne ne sait de quoi je parle, un livret d’instructions, quelle idée farfelue! À quoi bon, tu fais de beaux dessins, arrête de te plaindre ma grande!
Nous venons donc au monde avec un corps extraordinaire mais dont personne ne connaît adéquatement le fonctionnement; c’est bien ça que je comprends! Du coup, je me suis sentie comme la nouvelle souffleuse, un achat à l’époque de presque 2000$ pour mes parents. Excités par cette acquisition hors budget, nous l’avions précieusement mise en sécurité dans le cabanon, avions fixé un gros cadenas sur la porte pour qu’elle se sente en sécurité puis, le soir venu, fatigué par cette journée de magasinage, mon père avait droppé la pile de papiers roses qui venait avec ce nouvel enfant sur le buffet de la cuisine. L’hiver suivant, notre chère petite ne démontrait plus aucune motivation pour sortir de son hibernation. Ma mère inquiète, s’exclama : - Est-elle déjà rendue à l’adolescence? Ouf! le cycle de croissance d’une déneigeuse est rapide, mais bon, dans cette famille où l’on s’efforce au non-jugement, ma mère se retourna vers son mari et demanda : -Où est le guide d’utilisation? Avec de grands yeux béants, mon père se prononça : -Le guide? Quel guide ?...
En fait, on cohabite tous avec un corps similaire et depuis des siècles on essaie d’en comprendre le fonctionnement. J’ai donc entrepris de googler la situation : « guide pour humain ». On me propose « guide pour l’humanité », je clique et pop le premier résultat est la Bible : « […] en effet, de même que nous avons plusieurs membres dans un seul corps et que tous les membres n'ont pas la même fonction […] » Romains 12:4-5
Mmm, je « google » plutôt « souffrance matinale » : « […] ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain prendra soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. » Matthieu 6:34
Bon, là je démissionne, je retourne me coucher.
Jour 3650 de ma vieillesse
J’ai donné tant d’attention à mes petits bobos qu’ils ont élu domicile en moi. Confortablement installés et traités « aux petits oignons », ils sont devenus mes compagnons de vieillesse. Chaque matin, je les retrouve loger dans le bas de mon dos, dans une épaule ou dans mon cou, ils se promènent à leur aise pour attiser mes malaises. Je me réconforte: c’est juste l’âge qui « entre au poste », ça aurait pu être pire; je le sais car je me suis mise à me confier pour me comparer à d’autres « vieux » autour de moi! Tout comme moi, ils prônent l’adoption du bobo, une pratique populaire qui semble faire partie intégrante du processus de la longévité. Mais pourquoi souffre-t-on avec l’âge? La réponse se trouverait sûrement dans de ce « foutu » manuel d’instructions corporel perdu.
Une communauté se créa autour de moi, j’y prenais goût. Il y avait les doyens les plus poqués et les nouveaux vieux qui commençaient tout juste à cultiver leurs maux. On échangeait, on parlait de l’entretien de nos partenaires physiques, de nos nouvelles limites corporelles et ce chialage communautaire me procurait un grand bien. Un matin, une dame qui visiblement habitait son corps depuis plus de 80 printemps nous écoutait, au loin, nous raconter. En me rapprochant d’elle subtilement, je me préparais à entendre ses kilomètres de mal-être et, dans un élan de compassion, je lui demandai si elle voulait bien nous présenter tous ses bobos. Elle sourit, nous regarda et se prononça : - J’ai un peu faim, je crois. C’est tout? Honnêtement, déçue et interloquée, je commençai un interrogatoire exhaustif basé sur mes attentes: Votre dos fait-il mal au réveil? …- Non… mais vos genoux, ils doivent être rouillés, ils se tordent le jour? …- Non… vos poumons, ils ont des fuites d’air où ils se congestionnent aux printemps… ? - Non… ! … -Non et, encore, - Non …
Mais, êtes-vous vieille pour vrai? Elle prit alors un temps de réflexion, une grande respiration avant de me répondre : - Mon corps a du millage, certes, pourtant j’ai pris soin de l’entretenir avec une attention particulière toute ma vie et de ne pas trop nourrir les petites bêtes noires qui voulaient s’y installer. Le temps a passé, mon corps s’est usé tout comme les vôtres, mais je ressens mon âme encore très jeune. Le premier jour de ma vieillesse ne s’est jamais présenté je crois…
Le jour 1 où j’ai arrêté de vieillir
Le lendemain matin, en me levant de mon lit, j’avais la tête qui bouillait si intensément que j’en oubliai mon mal de dos. Je pris un grand cahier rose pâle, un stylo et dans le coin supérieur droit j’écris en petits caractères : Guide d’utilisation pour jeunes âmes habitant vieux corps.
Puis, accompagnés d’un beau dessin, j’y déposai, à la première page, ces mots :
La vieillesse est un choix sournois qui pourrait devenir votre fardeau;
lorsque votre corps présente un mal-être, il suffit d’en chercher la cause.
les maux de la vieillesse, perceptible perception.
Ge DR.
Comentários