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Geneviève Des Rosiers

BLOGUE : LES MÉSENDRES D'UNE OSTÉO

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  • Geneviève Des Rosiers D.O.

La vie et la mort ne tiennent que par un fil.

Dernière mise à jour : 31 juil. 2022

L’étude de l’embryologie m’a toujours fascinée, car l’histoire de nos premières étapes de vie raconte le reste du chemin à venir. Tout y est, dès nos premiers instants. Nous ne sommes au début qu’une rencontre entre la Mère et le Père, deux univers cellulaires, deux bagages de vie, deux histoires opposées qui se sont liées par amour ; enfin, c’est ce que raconte le conte de fée. Cette rencontre primaire donnera un amalgame cellulaire : la morula qui porte en elle l’essence d’une vie. Une vie qui, dès les premières semaines, sera confrontée au test du courage. Nous, sous forme d’embryon, serons effectivement invités très tôt à faire le choix dont notre survie est tributaire : le choix du grand saut.


Dans une forme encore primitive, lors de notre seconde semaine d’existence, notre amas cellulaire devra se détacher de la paroi maternelle pour se jeter dans le vide afin d’assurer sa croissance, c’est-à-dire, faire le grand saut vers l’inconnu, suspendu par un fil : le pédoncule. Imaginez la scène : l’agrandissement de l’intérieur du bedon maternel où se retrouve un utérus qui porte en son ventre une grosse planète de liquide accueillant une petite boule de vie suspendue par un fil. De là, dans cet espace privilégié en apesanteur, se développera votre matière autour de ce premier axe divin.


On se racontait, entre nos classes d’embryologie, que la première émotion alors ressentie devait nécessairement être le lâcher prise : prendre vie avant même de naître. C’est alors gorgé de courage que l’on quitte le confort de la chair maternelle pour faire notre premier grand saut de bungee dans la vie. Cette étape instigatrice du « Je » sera notre première prise de décision intracellulaire.


Je ressentis ma deuxième cervicale translater par un mouvement brusque de vide, comme si le vent venait de me faire une jambette. Le téléphone sonna. Le combiné en appui contre un torticolis, je le savais déjà parti. Il se jeta dans le vide comme il arriva en ce monde, suspendu par un fil.


Je suis convaincue qu’à ce moment précis de son histoire, mon père, tout comme l’embryon, se sentait seul au monde. Il fit ce grand saut dans une quête de soulagement pour probablement se libérer d’une souffrance dont il n’arrivait clairement plus à contenir.


De mon côté, cette libération extrême résonna jusque dans mes cellules. C’est transpercée de douleur à en vomir mon âme que je compris que le fil qui berçait le corps inerte de mon père était, sans aucun doute, encore relié à la pointe de mon cœur et entortillé avec mon âme. Tout mon être perdit l’équilibre. Dans une inertie de l’extérieur un tsunami interne se déploya à en perdre le nord, le sud, l’est et l’ouest.


Je me suis sentie comme une table, en plein souper festif, qui se voit arracher l’une de ses pattes sans prévenir, laissant chuter au sol l’ensemble des choses et des êtres qui s’appuyaient alors sur elle. C’est face à cette tablée au sol, l’équilibre précaire et avec une plaie ouverte, que je fis le constat que je devais me reconstruire afin d’arriver à survivre.


Dans un premier temps, il m’a fallu chercher à reconnaitre sur « qui » ou sur « quoi » s’appuyait chacune de mes autres pattes. J’y trouvai, dans une première tentative, beaucoup de belles choses qui me paraissaient de grande valeur, mais de peu de soutien. Je les empilai une à une sous ma « patte » brisée afin de retrouver une mesure de « niveau » dans ma vie. Mais le temps finissait toujours par déstabiliser mon équilibre précaire. C’est avec une table chambranlante, renversant constamment mon café, que je laissais ma vie suivre péniblement son cours.


Un jour d’hiver, l’un de mes fils se blessa, je ressentis la traction de mon cœur se réveiller, le même fil tiré mon cœur et la douleur revenir. Une idée émergea: et si notre être était porté par ces fils, attachés de cœur en cœur, les uns aux autres, se soutenant solidement dans une toile d’amour. Et si je n’étais pas une table finalement, mais plutôt un vaste réseau entremêlé de fils?


Comme un enquêteur devant une énigme, je dédiai le plafond de ma chambre à cette enquête. Armée de punaises et de post-it rose amour, je débutai ce qui devint mon arbre généalogique de mes liens cœur. Recenser chacun des liens invisibles qui me soutenait m’a amenée à rencontrer intimement mes enfants, ma mère, mon mari, ma famille et mes amis: ceux avec qui je me lie dans le silence de nos vies, ceux avec qui le contact de nos corps apaise nos âmes, ceux qui, malgré le vent et les distances, restent solidement près de moi, ceux qui m’ont permis de transformer une table en une communauté, ceux qui m’ont offert l’une de leur patte comme soutien.


Le suicide d’un proche nous déracine de l’intérieur, il n’en revient qu’à nous de recréer le terreau fertile pour renaître. Mais combien de souffrance pourrait être évitée si, dans les moments de désespoir les plus profonds, lorsque le fait de se jeter dans le vide est porteur de promesses, vous restez présent à l’autre, lui rappelant qu’il n’est pas seul sur son fil, puisque vous tenez solidement, avec votre cœur, l’autre extrémité.


Et vous, qui tient votre fil ?

Ge DR.


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